Résumé
PREFACE
A l'heure où la société se lamente sur le niveau lamentable de nos écoliers, sur leur désamour de la langue, sur le langage SMS qui serait ' avec la télévision bien sûr ' cause de tous les maux, à l'heure où les discours sont à la résignation et à la désespérance, j'ai rencontré, en cette année 2008, 60 lycéens, élèves de seconde, fous de poésie, heureux de réciter, ensemble, tant de ces vers qui ont traversé les siècles, et d'en redemander encore, « allez m'sieur, on apprend encore un autre texte ? »' m'sieur a un programme à tenir, m'sieur sait qu'il n'est pas en retard, m'sieur se dit que quand même, une telle demande ne peut rester sans réponse, m'sieur se dit finalement qu'il n'existe pas de meilleur accès aux textes que l'appropriation, que la mémorisation, que la recherche collective d'un sens à trouver, d'une variation de la voix à faire entendre, d'une émotion à transmettre' M'sieur se laisse alors aller à la joie du partage et de la lecture qui est un don réciproque.
Oh bien sûr, cela ne s'est pas fait d'un seul coup d'un seul. Oh bien sûr, ils en avaient des préjugés, ils en avaient des mauvais souvenirs, et des idées reçues glanées ici et là, et il y en eut des moues dubitatives et des regards méfiants ! Alors oui, je l'avoue, j'ai été d'abord le grand destructeur de murs, et il y en avait de la poussière sur les étagères de leurs convictions ! Au fond, ce dont ils avaient peur, ce n'était pas tant d'être ridicule, ce n'était pas tant de passer pour le premier de la classe, ce n'était pas tant de se casser le nez devant ce qu'on appelle (à tort !) « des classiques ». Non. Ils avaient peur de leur propre solitude, de se retrouver face à eux-mêmes parce qu'un livre, qu'on le veuille ou non, nous renvoie toujours à ce que nous avons de plus intime. Nous avons donc uni nos solitudes, nous avons élevé nos voix ensemble, nous nous sommes écoutés pour pouvoir ensuite nous oublier dans le flot délicieux et sucré des poèmes qui sont notre histoire. Nous avons choisi nos amis, nous en avons rejeté des auteurs, nous avons forcé les portes de la mémoire dans la conviction que ces mots de poètes resteraient à jamais les nôtres.
La seconde 4, rêvant du festival de Cannes, récita trente minutes durant Baudelaire, Beckett et tant d'autres en guise de remerciement humain et sincère à l'égard de Martine Thérouanne qui leur avait ouvert les portes de l'Asie.
La seconde 9 se déclara un beau jour officiellement la « Team Poètes », entendez par là, une espèce de réunion de jeunes idiots (c'est un compliment !) passionnés qui avaient décidé que quitte à « casser avec une meuf », mieux fallait le faire en vers !
Alors non, le temps n'est pas à la désespérance, il n'est pas non plus au constat, il est à l'action, à l'invention, au pari. Oh, rien de révolutionnaire dans tout ça ! On ne prend aucun risque à nouer des liens entre des jeunes gens qui vivent une des périodes les plus dures de la vie avec de grands écrivains qui nous « parlent » encore (« m'sieur, on ne dit pas qu'un texte « parle », c'est vous qui l'avez dit ! ») de leur voix de vivants qui ont vécu, aimé, pleuré, détesté, célébré, mais qui ont aussi parfois su nous laisser entrevoir une forme de bonheur, de chemin à emprunter'
Une année passe si vite. De lecteur à auteur, il n'y a qu'un pas à franchir. Un pas difficile, un pas à poser soigneusement, un pas de poète. « Pour dans sept jours, vous composerez votre propre poème que vous réciterez devant la classe ». Nouveaux tremblements dans l'assistance. « Combien de vers ? Obligé que ce soit des vers ? Obligé de réciter ? On peut faire sur ce qu'on veut ? ». Ces jeunes gens qui n'ont de cesse d'affirmer leur désir d'indépendance tremblent dès lors qu'on leur donne une vraie liberté. Ils font l'expérience de la liberté, non sans tomber souvent, non sans se tromper de route parfois, mais c'est à ce prix qu'on devient un jour conscient et plus sûr de ses choix.
Le résultat, vous en jugerez par vous-mêmes. Je n'ai en rien remanié leurs textes. Aucun travail en classe. Ces poèmes, c'est leur solitude partagée, leurs voix à tous extirpées de la foule, c'est leur engagement dans l'écriture, l'expression de leurs préférences, leurs célébrations et leurs rejets. Leurs cris et leurs chuchotements.
Il n'y aucun mauvais élève. Il n'y a que des jeunes gens qui ont pris un risque et qui ont su oublier notes et regards méfiants ' ceux du prof cette fois-ci à son tour tremblant de tant de libertés ' pour, l'espace d'un instant, tenter de « pousser les étoiles »'
Pascal Truchet