Résumé
Psychoses toxiques
En vue d'approcher le statut métapsychologique des troubles consécutifs à l'usage d'hallucinogènes, le Docteur Fliege élaboré et confronté aux données empiriques quatre constructions théoriques, quant à la psychose préexistante, quant au rôle des facteurs de personnalité et d'événements survenus au cours de l'expérience, et quant à l'éventualité d'une organisation pathologique spécifique.
Pour ce qui est de l'hypothèse de la décompensation psychotique, les paramètres spécifiant les positions subjectives ici concernées paraissent, selon l'option théorique adoptée, soit valider, soit infirmer cette conception.
D'autre part, si rien ne permet de supposer que la pathologie aurait été déclenchée sans la prise de drogue, l'hypothèse d'une corrélation entre des facteurs personnels et les troubles développés à la suite de l'épreuve se trouve globalement confirmée par les données cliniques.
En outre, les résultats de cette recherche corroborent la supposition portant sur le rôle déterminant, dans le déclenchement pathologique, d'événements survenus au cours de l'expérience.
Enfin, la récurrence des traits morbides ici repérés - ne s'apparentant à aucun autre syndrome connu - étayent l'hypothèse d'une organisation spécifique des troubles issus de l'ingestion d'hallucinogènes.
Ces pathologies présentent un aspect singulier, de par leur éclosion soudaine et leur allure intrusive, en restant confinées à un espace relativement précis, au sein d'un fonctionnement psychique par ailleurs intact.
L'envahissement du conscient par des formations parasitaires de nature subvocale (relevant de l'hallucination idéo-verbale ou de la présentification de l'objet vocal) est considéré, par l'ensemble des sujets ici présentés, en tant que caractéristique principale de ces désordres. Or, il s'agit là d'un franchissement des coordonnées de la position subjective, de sorte que le sujet, déplacé vers une position d'objet (a), est amené à octroyer à l'Autre une consistance au travers de la présentification objectale.
Cette combinaison des phénomènes morbides relève d'une homogénéité symptomale - quant à la nature, quant à la succession et quant à la combinaison hiérarchisée des traits pathologiques répertoriés - permettant d'identifier les désordres consécutifs à l'expérience hallucinogène, à l'exclusion d'autres symptômes.
Si, formellement, rien ne permet de déterminer la part exacte des facteurs toxiques et non-toxiques dans l'avènement des troubles, en revanche, les résultats de cette recherche tendent à démontrer que les effets de la drogue entraînent une sorte de syncope générale de la fonction symbolique, que le recours à l'imaginaire, dont on sait l'inconsistance, est alors convié à pallier.
Par ailleurs, notre démarche, visant l'investigation de la conjoncture subjective, ne saurait, par définition, opérer de différenciation foncière entre le vécu hallucinogène et d'autres éléments participant au déclenchement de la structure.
Par conséquent, toute démarcation rigoureuse entre ce qui, parmi les perturbations ici abordées, serait caractéristique d'un effet avéré «psychogène» de la substance et ce qui procéderait de l'actualisation d'une faille structurelle paraît, a priori, irréalisable.
Cependant, de manière générale, l'on peut supposer que l'effet hallucinogène, en facilitant l'actualisation d'aspects archaïques du fonctionnement psychique, implique l'accentuation critique de la valeur topique des facteurs événementiels.
D'autre part, bien que l'hypothèse de la psychose préexistante ait été partiellement réfutée par les données cliniques, l'on s'aperçoit que, dans une certaine mesure, les mécanismes ici observés concordent avec une logique forclusive.
Aussi, afin de situer la contrepartie structurelle de ces perturbations, et sous certaines réserves épistémologiques, proposons-nous le recours au modèle de la décompensation psychotique, de façon analogique.
En ce qui concerne l'articulation structurale de ces désordres, i.e. quant aux enjeux de la présentification objectale et quant au repérage du défaut de l'Autre, la pertinence et la fécondité des conceptions lacaniennes au sujet la psychose se voient confirmées.
Par conséquent, sur le plan du diagnostic, les psychoses toxiques pourraient être globalement interprétées en tant que psychose partielle.
Quant à la prise en charge thérapeutique de ces perturbations, le Docteur Fliege a enregistré les succès les plus notables en explorant de manière ciblée, voire 'active', les aléas du «noyau fusionnel».
Au cours des thérapies, il s'avère que l'appropriation symbolique, par le sujet, des enjeux de la régression fusionnelle, constituant le mécanisme général sous-jacent aux pathologies consécutives à l'usage d'hallucinogènes, aboutissait à la résolution des troubles majeurs.
Aussi, s'agit-il, pour ce clinicien chercheur de présenter une détresse méconnue, d'élaborer un diagnostic permettant d'identifier une organisation pathologique spécifique, et de proposer des repères analytiques afin de comprendre les enjeux structurels d'un champ clinique jusqu'ici inexploré.
Enfin, les prémisses épistémologiques de ce travail supposant un retour fondamental à la clinique, le psychologue a rapproché ses découvertes des théorisations actuelles de l'appareil psychique.
Or, les classements contemporains des structures - selon lesquels le sujet ne saurait se soustraire aux deux termes de l'alternative d'être ou non inscrit dans l'ordre symbolique - supposent une conception binaire, formelle, de l'appareil psychique.
Cependant, au vu des résultats de cette recherche - constituant un argument en faveur de la relativité de l'organisation psychique ' le Fr Fliege s'inscrit en faux contre les postulats quant à la permanence et le caractère absolu des structures.
En effet, le statut potentiellement intermédiaire de la position subjective, qu'il a ici démontré, tend à invalider la conception d'une détermination absolue du psychisme.
En consolidant l'hypothèse selon laquelle une carence structurelle relève d'un certain rang sur l'axe de la logique forclusive, cette recherche permet de récuser non seulement l'aspect binaire de la structure psychique, mais encore l'irréversibilité des troubles.