Rien n'empêchait pourtant nos braves vendeuses de vanter du geste et de la voix leur marchandise. Il me semble les voir et les entendre encore; je voudrais me souvenir davantage afin que ne m'échappe le moindre trait de leur personnage. La fraîcheur du poisson enveloppé dans un papier journal, c'était un mélange d'affection, de bonheur et qui sait de misère que l'on sentait entre les doigts. Pouvait on imaginer en effet que des femmes aussi rudes pouvaient être perméables au malheur, sensibles à la peine; sans aucun doute mais rien n'y paraissait. Ce métier, du moins celui avec les moyens dont il était exercé a complètement disparu, la misère existe toujours, elle n'a fait l'objet que d'un transfert. Doit-on regretter cet autrefois? dans une certaine mesure, oui. Le travail, quel qu'il soit, d'ailleurs s'est déshumanisé, le cadre n'est plus le même et les images du passé pâlissent peu à peu. Il y avait de la couleur dans ces villages d'hier, dans le comportement de ces habitants et surtout, surtout dans l'accent du pays. Les plus nombreux s'exprimaient dans leur patois local, ce qui donnait encore plus de sel aux conversations. Je suis de ceux, hélas qui le comprennent mais qui ne le parlent pas. Je sais que ce patois écorchait quelque peu la langue originale et régionale d'Oc, mais qu'importe ! Continuer à la parler, comme on le pouvait, car il n'y avait plus de maîtres en la matière, c'était encore démontrer que l'on s'accrochait au pays.