Juliette Bellée

Juliette Bellée

J’ai toujours aimé les longs trajets en voiture. En général, les enfants ont horreur de rester assis attachés sur leurs sièges pendant des heures, probablement parce qu’un enfant a besoin d’évasion pour grandir heureux et qu’il est compliqué d’explorer le monde qui nous entoure lorsque l’on est coincé dans une voiture. Pour moi, c’étaient au contraire les seules occasions qui me laissaient réellement le temps de me perdre dans mes pensées et de me plonger dans mes propres univers. Il me faudrait une deuxième vie pour vous raconter tous ces mondes que j’ai créés dans ma tête, souvent à base de forêts magiques, d’elfes et de dragons, d’héroïnes guerrières digne d’un dessin animé d’Hayao Miyasaki ou d’aventurier solitaire forcé de se remettre en question. Je ne les ai donc jamais écrits, ces mondes, et pourtant ils continuent de m’habiter comme ils l’ont toujours fait chaque jour de ma vie depuis 17 ans. En fait j’ai essayé à plusieurs reprises, j’ai même écrit quelques nouvelles ces cinq dernières années, mais la vie réelle était toute aussi importante pour moi et j’ai beaucoup voyagé avec ma famille. Je me suis intéressée aux sciences, aux autres, au sport et plus particulièrement à la voile qui a été pendant dix ans le théâtre de mes échecs à répétition. Jusqu’à ce qu’un jour, — le jour de mon anniversaire qui plus est ! — alors que je vivais tranquillement ma vie de lycéenne en classe de première scientifique avec ses problèmes de maths et ses cours de SVT, le premier cas d’une maladie jusque-là inconnue soit déclaré en Chine. A partir de là, j’ai eu l’impression de vivre l’une de ces aventures dont j’avais toujours rêvé, l’idée de devoir survivre à une pandémie me rappelait toutes ces histoires de science-fiction dans lesquelles le héros doit sauver le monde grâce à son immunité et je m’attendais presque à voir la population mondiale réduire de moitié. Le cerveau humain n’est définitivement pas fait pour comprendre correctement ce que représentent les grands nombres et il me paraît donc normal que cette petite défaillance alliée à un peu d’imagination m’ait conduite à exagérer largement la situation. Au lieu de la vie dangereuse et probablement très courte que je m’imaginais déjà devoir vivre, je me suis donc retrouvée enfermée dans ma chambre pendant trois mois. Là encore, beaucoup de gens ont détesté le confinement et la privation de libertés. Pas moi. Comme je l’avais toujours fait jusque-là pendant les longs trajets en voiture, je me suis mise à imaginer un nouvel univers et pour la première fois, j’ai pris le temps de mettre ce que j’avais en tête sur les pages d’un livre.

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