Ce pauvre Marcel Aymé n'a guère été aimé des critiques qui ne lui rendent pas justice, encore actuellement, mais toujours par contre du public pour son théâtre ou des lecteurs pour ses livres. Les malveillants ont quand même réussi à faire négliger une œuvre volumineuse et de qualité et les soupçons nauséabonds qu'ils ont fait peser sur lui, s'ils n'ont jamais réussi à le faire condamner de quelque façon que ce soit ont tout de même amené beaucoup de gens à se détourner de lui, injustement, et c'est grand dommage eu égard à la valeur de sa production.
On l'a classé à gauche, il ne rentrait pas dans la petite boîte, puis à droite, il ne rentrait pas non plus alors on a dit «anarchiste» parce que c'était justement dans cette boîte-là qu'on devait mettre ceux qui ne rentraient pas dans les autres cases et «de droite» parce qu'il ne manifestait aucune velléité de faire quelque révolution que ce soit. Quoi qu'il en soit, il était bien placé pour nous raconter cette France de l'après guerre si désireuse tout soudain de chasser toute trace de «collaboration» et de la faire payer cher, surtout à ceux dont on avait vengeance ou bénéfice à tirer. C'était un sujet très délicat, ça l'est encore un peu d'ailleurs. Il n'y avait que lui pour faire cela et il l'a très bien fait car il l'a fait sans anathème et ce n'était pas facile, surtout en 48.
Nous sommes dans un village où la résistance s'appelait FFI ce qui vaut en ces années d'après guerre une hégémonie aux communistes. On est encore dans la période d'épuration, les condamnations à mort sont rapides et pas trop discutées, on est plus proche de la loi de Lynch que de celle de Salomon. Dans ce village, nous allons voir jusque dans leurs vies et pensées les plus intimes une quantité de personnages admirablement croqués et examinés plutôt avec bienveillance, quels qu'ils soient et quoi qu'ils aient fait. Cette absence de condamnation indignée est une constante chez M. Aymé et une de mes meilleures raisons de l'aimer. Il nous rapproche ici de personnages du commun ou aux extrêmes, des deux côtés. Il ne nous présente pas un personnage aux motifs douteux dans un groupe sans nous en présenter un admirable du même groupe. Mieux, il ne nous présente pas une bassesse chez quelqu'un sans nous en laisser voir aussi une face plus attachante. C'est vraiment la qualité majeure de la vision de Marcel Aymé et s'il est un roman où elle a trouvé à s'employer, c'est bien celui-ci.
Et parmi les autres qualités de l'auteur, il ne faut pas négliger la fantaisie. Elle est partout, dans l'histoire, dans les anecdotes annexes, dans les façons de faire des personnages et dans les dialogues. Là, Aymé fait très fort. Les discussions entre ses personnages sont d'une part criantes de vérité et de l'autre toujours de vraies fenêtres sur leur âme. Il a le chic pour nous situer quelqu'un en quelques lignes d'entretien. Et il a l'usage aussi d'une langue très riche et fine, qui sert à merveille son sujet. Et c'est aussi drôle que c'est touchant, quand on découvre par exemple la vision personnelle que Léopold le cafetier a d'Andromaque, on rit parce que c'est impayable, mais on l'aime bien aussi pour cet élan si sincère. Et la justesse du coup de pinceau! Bref, il y a tant à vanter que je n'arrêterais pas...
J'aime Marcel Aymé pour l'acuité du regard qu'il portait sur les hommes et pour l'indulgence que dans le même temps, il mettait dans ce regard, qui est sans doute personnifié ici par les personnages centraux de Watrin et Archambaud.
En cette après guerre Aymé chante l'amour de la vie. Il