Comme je suis pas du genre vache, je préfère te filer un extrait de mon bouquin, gratos. Sympa, le mec !
"Après une nuit horrible à tenter de ne pas écraser le yaourt qui dort à côté de moi, à avoir trop froid au visage, à avoir trop chaud au visage, à hésiter pendant des plombes à me lever pour pisser, à tenter de me soulager dans une bouteille au goulot trop étroit, à n'éviter le drame dans la tente que d'extrême justesse, à finalement me décider à sortir pour uriner dans la steppe et le froid à la grande joie de ma queue, je me réveille le lendemain la gueule prise dans la glace. Le petit dej, frugal, est pris dans le sac de couchage. Je pourrais légitimement être d'humeur maussade, mais la perspective d'un vrai petit déjeuner dans un resto chauffé à vingt-cinq kilomètres de là nous met tous de bonne humeur. Nous plions donc vite fait le campement et repartons hardiment, sans provisions, sans clopes, et avec très peu d'eau ; j'ai beau porter ma bouteille contre mon ventre à même la peau, l'eau refuse de fondre.
Au moment de partir toutefois, une engueulade me met aux prises avec JF : il veut abandonner sur le bord de la route nos poubelles qu'il juge encombrantes. Quoi ?? alors que nous venons de passer la nuit dans cet environnement vierge de tout détritus ? Hors de question. Les Kazakhstanais sont peut-être des porcs et n'ont de toute évidence rien à cirer que nous lâchions nos ordures n'importe où, mais je m'en fous, je n'abîmerai pas ce lieu unique. Alors tant pis, c'est moi qui les prends, ces poubelles !
Allez hop ! roulons moussaillons !
Une heure et demie plus tard, nous nous tenons face à un misérable hameau, qui compte à peine trois ou quatre baraques.
« Oufti, ça ne peut pas être ça Borandasur, c'est sûr !
- Ben ouais' Peut-être que c'était le village abandonné qu'on a croisé il y a dix bornes'
- Mais nan, on nous a dit qu'il y aurait une épicerie !
- Eh ben en tout cas c'est pas là, ils seraient bien en peine d'avoir une épicerie, ici !
- Ca doit être encore un peu plus loin, alors'
- Ouais, ça doit être ça. En tout cas y a intérêt, parce que sinon on est dans la mouise ! »
Sur ces mots d'espoir s'en vient un 4x4. Ce sont deux gardes-chasse, russes, qui s'arrêtent à notre hauteur. Pourquoi des gardes-chasse par ici, me demande pas' Ah si, il paraît que ça braconne du lynx dans le coin.
« Priviet !
- Priviet !
- Dites donc, vous savez si c'est encore loin, Borandasur ?
- Ah bah non, c'est pas loin puisque vous y êtes'
- Ah bon '? Ah bon. Et heu' y a un autre village par là-bas ?
- Non.
- Ah ? Heu' même pas une épicerie ou un restaurant ?
- Non non, il n'y a absolument rien avant soixante-dix kilomètres. Et puis la route se transforme en piste d'ici cinq kilomètres. Vous feriez mieux de revenir en arrière pour rejoindre la grand-route ».
Sous l'??il légèrement goguenard des gardes-chasse qui n'en reviennent pas de trouver des tocards comme nous dans ce coin paumé, nous ne cherchons pas à dissimuler notre désarroi. Revenir en arrière ? Un Branque ne revient jamais en arrière. Le croisement aurait été à dix bornes, à la rigueur. Mais trente ! Se lancer dans soixante-dix kilomètres de vide, dans le froid, sans provisions ? C'est délicat, tout de même. Et puis il y a la piste. Mais baste ! nous savons bien qu'il ne faut pas écouter les mises en garde généralement mal avisées de nos rencontres. Et puis une piste, cela peut être excellent. Mieux vaut d'ailleurs une bonne piste qu'un mauvais asphalte ! Soixante-dix kilomètres sans manger, cela va être dur, mais nous ne voyons pas pourquoi nous ne pourrions pas y arriver !
Face à notre inflexible détermination, les gardes-chasse nous avouent qu'il y a en réalité une ferme à quarante-cinq kilomètres, où l'on pourrait éventuellement se ravitailler.
Eh ben voilà ! Tu vois ? Quarante-cinq bornes, trois heures à tout casser. Aucun problème, on fonce !"